Revenant à ces textes de Freud et d’Aristote, Lacan ré-interroge le rapport du thérapeute à l’éthique, il affirme (il ne le dit pas tout à fait dans ces termes, il le mi-dit…) que la psychanalyse est le modèle terminal de l’éthique, son référent exemplaire, et que donc la psychanalyse en s’interrogeant a la tâche et le devoir de redéfinir ce que c’est que l’éthique.
Poursuivant notre but, nous n’irons pas plus loin dans l’exposition des rapports intimes qu’exprime Lacan entre psychanalyse et éthique. Une année (1959-60), un séminaire entier de 24 séances lui est consacré.
Nous n’irons pas plus loin parce que nous savons que la méthode, la démarche et les principes de la démarche, la terminologie et les références seraient toutes et tous refusés d’emblée par quiconque n’y est pas d’abord sensible (initié, diraient les non-initiés).
Nous n’irons pas plus loin dans ce sens là, précisément.
Le débat autour de la santé mentale, qui est assurément un débat éthique parce qu’il se joue sur le plan politique (il interroge et divise le politique lui-même)(1), cristallise les positions autour de celles, les plus radicales, de Lacan et des comportementalistes.
En opposant Lacan et les T.C.C. nous avons simplifié.
Mais nous croyons avoir montré suffisamment dans cette introduction que, si les positions psycho-thérapeutiques sont diverses dans les faits, elles doivent se partager suivant cette ligne qui va de l’éthique au symptôme en passant par l’identité personnelle, la norme, le réel et le savoir. Ligne le long de laquelle s’adossent, dos à dos, très exactement, lacaniens et comportementalistes.
Lesquels ne s’entendent pas.
Nous ne convoquerons pas ici l’ensemble des arguments, souvent de basse qualité, que ces différentes écoles avancent les unes contre les autres(2). Nous n’avons pas non plus la prétention de trancher le débat, seulement de remarquer que le mode de justification de chacune comme leur méthodologie, par leurs divergences mêmes interroge l’ontologie de la santé mentale. Or si, suivant Aristote, la santé est la fin de la médecine, et donc la santé mentale la fin de la médecine psychique, il s’agit d’un débat sur les fins de l’action, donc une question d’éthique. Ici d’éthique médicale.
Nous pensons donc qu’en posant la question : qu’est-ce que la bonne santé mentale ? nous intervenons, non pas seulement dans le champ de l’éthique médicale, mais sur sa définition même.
Sur cette question, nous avons vu lors du travail préparatoire ci-dessus (cf les billets précédents), que deux positions sont radicales au regard de l’éthique : ou bien on tente de la sortir entièrement de son champ, de tirer l’activité psycho-thérapeutique sur le terrain de la neutralité objective, impersonnelle, donc dans un discours en troisième personne ; ou bien on la place au contraire au coeur de la question éthique, c’est-à-dire au centre des questions sur les fins de l’action humaine, et chacun dans le face à face, thérapeute et patient, est appelé à s’exprimer depuis la singularité de sa propre personne, dans un discours, donc, en première personne.
Nous allons ainsi nous focaliser sur cette question : L’entretien psycho-thérapeutique doit-il se penser et se pratiquer en première ou en troisième personne ?
Le problème que nous allons rencontrer est alors d’abord d’ordre méthodologique :
1- les divergences entre ces deux positions sont telles qu’il est impossible de les articuler au-delà de l’opposition qui les rassemble dans la question. À partir de ce schisme, tous les concepts prennent un sens différent(3) : aucune entente n’est possible sur des notions principielles de la philosophie, et donc de l’éthique, comme une preuve, une vérité, un savoir, un esprit, un concept, une définition, une image ; sans parler par conséquent des concepts spécifiques comme le symptôme, l’autisme ou le réel.
2- Puisqu’on on ne peut les articuler dans une analyse argumentative, comparative, nous sommes réduit à ne pouvoir les étudier qu’indépendamment l’une de l’autre. L’analyse que nous venons de mener vient à ce point de butée, au-delà duquel nous ne pouvons continuer à les tenir ensemble.
3- Or nous savons que nous ne pouvons valider la psychanalyse de l’intérieur, en usant de ses propres concepts, simplement parce que, comme l’avait déjà souligné K. Popper, il est impossible de l’invalider. Et ce, justement, parce qu’en principe elle refuse les critères de la science. En fait rien ne peut venir faire taire la psychanalyse parce qu’au fond, elle est toujours déjà prête à le faire(4), c’est même à cette qualité que la psychanalyse reconnaît ses ouailles. Le bon psychanalyste est celui qui sait voir qu’il y a quelque chose à dire après le mot de la fin. Qui ne brise pas la chaîne des signifiants. Et surtout pas devant la volonté de faire taire. C’est trop parlant.
4- En revanche, les théories psycho-thérapeutiques cognitivo-comportementalistes sont chatouilleuses, comme toutes les sciences, dont elles réclament le label. Si l’on prouve, ou bien que ce qu’elles décrivent ne correspond pas aux phénomènes observés (critère d’adéquation empirique), ou bien qu’elles sont contradictoires avec elles-mêmes (critère de consistance), alors elles se taisent.
En conséquence, nous allons partir d’une situation archétypale, un entretien thérapeutique entre un psycho-thérapeute comportementaliste et un patient dépressif, avec prescription d’anxiolytiques.
Par cohérence, nous n’utiliserons pour l’analyse de cette situation, parmi les outils conceptuels et méthodologiques de la philosophie, que ceux qui sont compatibles avec notre objet. Et donc, que les T.C.C. seraient à même de valider.
L’objectif est de parvenir à relever une contradiction :
1- pour invalider l’approche en troisième personne de la psycho-thérapie C.C. ;
2- pour soumettre un critère de circonscription de l’éthique médicale ;
3- pour apporter des éléments de validation extérieurs à la psychanalyse.
(Suite au prochain billet, vers le 15 décembre)
Jean-Marie Vidament
(1) En témoigne l’articulation très forte entre éthique et politique, telle qu’elle est soulignée par Freud autant que par Aristote, dans les deux textes cités par Lacan.
(2) En gros, «scientistes» d’un côté, «charlatans» de l’autre.
(3) Cf le phénomène d’incommensurabilité sémantique de Thomas kuhn.
(4) Remarquons que pour bien écouter il ne faut pas se taire, mais n’avoir rien à dire. Une manière de caractériser la fameuse «écoute flottante». Celui qui commence, pour écouter, par taire ce qu’il a dire, n’écoute pas, il juge et attend pour reprendre la parole.